Quand on a pris la décision de quitter la France, fin 2012, c’était en réaction à la morosité qui grevait notre pays depuis plus de quatre ans. Depuis « la crise », la fameuse crise des subprimes qui avait tant fait souffert le monde jusqu’à vomir son nom, la France ne s’était pas vraiment remise du traumatisme. Martin et moi n’avions pas souffert dans nos domaines, mais c’était loin d’être le cas de tout le monde. Licenciements de cadres, amis qui se réfugient dans la fonction publique. Notre génération de jeunes diplômés de l’année fauchés par « la » crise, obligés de sacrifier rêves et esprit d’entreprise, pour la plupart. J’ai pourtant créé mon entreprise de traduction en 2007, avec succès.
Quatre ans plus tard, le choc est toujours présent, et le traumatisme est devenu insupportable. Plus de prises de risques. Plus d’entrain. Plus de joie de vivre. Les seuls qui ont encore de l’optimisme, ce sont les joyeux allumés de La Cordée, entrepreneurs, indépendants, des professionnels qui croient à l’avenir.
Ce sont bien les seuls autour de nous. En France, en 2012, plus personne ne croit en rien, ni en le gouvernement qu’il vient pourtant d’élire plus par dépit que conviction, ni en l’économie. Et je ne parle même pas de la situation actuelle, avec ses crises identitaires qui semblent sorties tout droit des âges sombres du XXe siècle.
Bref, en 2012, la France avait beau être notre patrie, ce n’était plus le pays dans lequel nous avions envie de vivre. Nous voulions de l’optimisme. De l’entrain. De l’esprit d’entreprise.
Et nous voilà au Canada. Certes, le Nouveau-Brunswick est la province la plus pauvre du pays, mais le contraste est si fort qu’on ne peut que se demander ce que donne la mentalité dans des villes comme Toronto ou Montréal. Évidemment, la situation sociale n’est pas si différente : il y a des pauvres, des riches, une classe moyenne, des entreprises florissantes, des secteurs qui coulent.
Mais dans le milieu dans lequel nous évoluons (classe moyenne diplômée, cadres et professions indépendantes), nous sommes servis pour l’optimisme. Pour l’esprit d’entreprise. Tu veux faire quelque chose ? Fais-le ! Tu te casseras peut-être la gueule, mais tu l’auras FAIT. Tu veux monter une entreprise de restauration de luths alors que tu es informaticien ? Une garderie alors que tu es chauffeur routier ? Un atelier de gravure ? Une boulangerie paléo et gluten-free ? FAIS-le, tu pourrais réussir.
Voilà l’immense différence. On nous dit « tu pourrais réussir » au lieu de « tu pourrais échouer ».
Évidemment qu’on pourrait échouer. L’un ne va pas sans l’autre. Mais l’échec n’est pas aussi stigmatisant. Ce n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas humiliant, cela fait tout simplement partie du processus normal quand on FAIT.
Et évidemment, réussir n’est pas sale. Entreprendre, gagner de l’argent, vivre de ce qu’on aime, vouloir changer les choses non plus. Plutôt que de se complaire à râler, on FAIT.
On en connaît, des gens qui entreprennent. Tous ne sont pas à temps plein. Beaucoup ont un emploi qu’ils aiment plus ou moins la journée, et une petite entreprise le soir. Qu’ils soient gérant le jour et designer le soir, chauffeur de bus scolaire le jour et photographe le week-end, traductrice le jour et blogueuse la nuit (c’est moi ça, au fait). Ils essaient. Ils FONT.
J’aimerais illustrer cette mentalité par une anecdote que nombre d’entre vous connaissent déjà, mais qui m’avait laissée sans voix.
En début d’année, une épicerie a brûlé en centre-ville. Une épicerie bio, la seule dans Moncton même, aimée de tous, au propriétaire apprécié. Un incendie accidentel, mais tout a brûlé.
« Son épicerie a brûlé, mais en fin de compte ? C’est une opportunité incroyable pour lui. Il va pouvoir rebondir et repartir de zéro ».
Un incendie. Une opportunité.
On parlait bien de la même catastrophe, là ? D’une tragédie personnelle et professionnelle ? D’un homme qui avait tout perdu ?
Oui… et non : en perdant ses locaux, il avait gagné l’opportunité de rebondir.
Ce n’était pas un petit jeune naïf qui me parlait, mais bien une femme à l’aube de la retraite, à l’âge où d’autres commencent à avoir peur de tout. Une femme qui venait d’ailleurs de changer d’emploi, à 60 ans passés, avec toujours l’envie de travailler. Une femme qui n’avait rien perdu de son optimisme.
Pour revenir à notre petit commerçant infortuné, on lui prédisait de rebondir, et il l’a fait. Oh ça oui. Deux semaines plus tard, le propriétaire avait réouvert boutique dans un nouveau local. Deux semaines, c’est tout ce qu’il lui aura fallu. Il propose aujourd’hui un petit commerce de sushi et une épicerie. Peut-être n’avait-il pas le choix, parce qu’il fallait continuer à payer ses factures. Peut-être que tout simplement, personne ne s’est non plus apitoyé sur son sort en déplorant l’échec, pour lui laisser la place d’entreprendre à nouveau.
Vous tous, qui vous levez chaque matin avec l’envie d’entreprendre en France sans oser, parce que les banques sont frileuses, vos proches sont résignés et même votre esprit combatif commence à faiblir.
Vous tous qui hésitez même à immigrer, parce qu’on vous prédit l’échec, parce qu’on vous met en garde contre les différences culturelles, qu’on parie sur votre retour.
Vous qui aimeriez vous lancer dans une aventure en indépendant sans oser y croire, parce que ce ne serait pas sérieux, parce que ce serait fou, parce que ce serait prendre des risques.
Souvenez-vous de ces mots. Vous pourriez réussir. Souvenez-vous qu’il existe des lieux où entreprendre est possible, où l’optimisme est la norme. Cela ne veut pas dire que tout le monde réussit, ni que tout le monde ose, mais je vous garantis que cela change tout.